II. Enquêter (dans) l’Europe du XXe siècle : politiques, cultures, histoires

La Limite de l’oubli de Sergueï Lebedev : un roman policier métaphysique pour mémoire des répressions soviétiques

DOI: 10.17457/RIL/14_2020.GER

Julie Gerber (Université de Strasbourg, Université d’État de Tioumen)

La Limite de l’oubli de Sergueï Lebedev : un roman policier métaphysique pour mémoire des répressions soviétiques

FR L’article se propose de montrer comment la structure du roman policier métaphysique peut rendre compte de problématiques mémorielles contemporaine. Il porte sur un roman russe, La Limite de l’oubli (2011) de Sergueï Lebedev, dont le narrateur s’engage dans une enquête sur le passé de son grand-père adoptif, ancien directeur d’un camp du Goulag. L’investigation familiale recouvre une réflexion sur la mémoire collective des répressions soviétiques, qui s’avère indissociable de la quête identitaire et existentielle du narrateur-détective. Elle prend la forme d’un voyage initiatique dans les espaces post- soviétiques du Grand Nord, où le narrateur découvre les vestiges matériels et symboliques des camps dans tous les aspects de la vie. Les traces sont si ténues que le narrateur doit faire appel à son intuition, ses rêves et son imagination pour actualiser à nouveau le passé. La première partie est consacrée à l’élaboration de cette enquête sur le personnage du grand- père, incarnation de la « banalité du mal». La deuxième partie évoque la méthode d’investigation originale du narrateur, qui passe largement par l’introspection.

Mots-clés: métaphysique, détective, narrateur, Goulag, mémoire.

EN The article aims at showing how the structure of the metaphysical detective novel can account for contemporary memory issues. It deals with a Russian novel, Oblivion (2011) by Sergei Lebedev. Its narrator engages in an investigation about the past of his foster grandfather, who is a former director of a Gulag camp. This family investigation covers a discussion on the collective memory of Soviet repressions, which is inseparable from the narrator’s existential quest of identity. This takes the form of an initiatory journey in the post-Soviet spaces in the Far North. The narrator discovers the material and symbolic vestiges of the camps in different aspects of life. The traces are so tenuous that the narrator must use his intuition, dreams and imagination to make the past “present” again. The first part of the article is devoted to an investigation into the character of the grandfather, incarnation of the « banality of evil ». The second part highlights how the narrator uses introspection as a method of investigation.

Keywords: metaphysical, detective, narrator, Gulag, memory.

La politique de l’enquête : engagement et désenchantement chez les détectives de M.V. Montalbán et J.-F. Vilar

DOI: 10.17457/RIL/14_2020.CAM

Julien Campagna (Université de Poitiers)

La politique de l’enquête : engagement et désenchantement chez les détectives de M.V. Montalbán et J.-F. Vilar

FR Le roman policier de la fin du XXe siècle raconte la confusion politique du détective dans une ville post-industrielle éclatée et individualiste, au libéralisme décomplexé. En comparant deux de ses personnages emblématiques, le Pepe Carvalho de M.V. Montalbán et le Victor Blainville de J.-F.Vilar, cet article se propose d’envisager les diverses et déchirées attitudes politiques de l’enquêteur, entre utopisme et apolitisme, conviction et résignation, à travers son regard sur la ville contemporaine. Les romans mettent en scène un mouvement concomitant d’engagement et de désengagement politique : l’investigation renvoie l’enquêteur à la dérision de son militantisme passé, mais le confronte également à de nouveaux modèles de lutte politique et lui offre une nouvelle possibilité de révolte. L’écriture de l’enquête devient ainsi un moment simultané de désabusement et de revitalisation: elle est une grille de lecture politique du monde. L’enquête permet au détective d’élucider une société dont il se voit progressivement aliéné et ostracisé, pour continuer à y lutter.

Mots-clés : Post-industriel, roman noir, politique, espace urbain, nostalgie.

EN The late twentieth–century detective novel tells the political confusion of the detective, lost in a post-industrial, shamelessly Neo-liberal, individualistic city. By comparing two of its most emblematic characters, M.V. Montalbán’s Pepe Carvalho and J.-F. Vilar’s Victor Blainville, this article aims at investigating the political attitudes of the detective, between utopianism and indifferentism, belief and resignation, through his look of the contemporary city. The novels represent a simultaneous, ambivalent attitude, concerning both political engagement and disengagement : investigating both leads the detective to mock his own, past activism and encourages him to confront with new models of political struggle, offering new possibilities of revolt. Detective writing becomes simultaneously an occasion for disenchantment and revitalization, as detection can be considered a reading model for political reality. Investigation allows the detective to bring light to a society in which he is progressively alienated and ostracized, in order to keep fighting in it.

Keywords : Post-industrial, noir novel, politics, urban space, nostalgy.

Kurt Wallander, enquêteur de la crise du “modèle suédois”

DOI: 10.17457/RIL/14_2020.KSM

Margareta Kastberg Sjöblom (Université de Franche-Comté) et Frédéric Moulène (Université de Reims) 

Kurt Wallander, enquêteur de la crise du “modèle suédois”

FR Le nom d’Henning Mankell est l’un des plus cités lorsqu’on évoque aujourd’hui le florissant polar scandinave. Cet article vise à éclairer les qualités sociologiques de la série dédiée à l’inspecteur Wallander : le policier excelle — comme se doit de le faire tout chercheur en sciences sociales — à se distancier des évidences partagées et jeter un regard empathique sur les acteurs impliqués dans une affaire criminelle tout en reliant leurs comportements à leurs parcours de socialisation. Par ailleurs, les contradictions idéologiques de Wallander s’invitent dans ses enquêtes et les idées de l’écrivain rentrent souvent en interférence avec les siennes. Elles interrogent également le bilan et les limites du “modèle suédois” à un moment où il se trouve sérieusement remis en cause.

Mots-clés : roman noir, sociologie littéraire, littérature nordique, polar scandinave, modèle suédois.

EN Among the most prominent authors of the contemporary nordic noir genre, Henning Mankell is probably one of the most frequently cited. The aim of this article is to highlight the sociological merit of the Wallander series which leads us to draw a parallel between the investigations of the famous detective from Ystad and a methodological approach to social sciences. In fact, Mankell distances himself from a conventional view of society and provides a personal angle in the descriptions of his characters involved in criminal cases by relating their acts to their personal social experience. The ideological contradictions of Wallander and other characters play indeed a crucial role in Mankell’s authorship where he constantly calls the limits of the “Swedish welfare model” into question.

Keywords : literary fiction, nordic noir, scandinavian literature, sociology, Swedish model.

Le roman noir contemporain, entre inachèvement de l’enquête et nouveau désordre social

DOI: 10.17457/RIL/14_2020.LED

Stéphane Ledien (Université de Laval)

Le roman noir contemporain, entre inachèvement de l’enquête et nouveau désordre social

FR L’article analyse de quelle façon le polar français actuel radicalise le principe d’irrésolution propre au sous-genre du roman noir. Il présente les luttes d’autorité que s’y livrent personnages et narrateurs dépositaires de l’autorité publique pour y instaurer un “désordre établi” en vertu d’une certaine “déraison” d’État. Il suggère aussi quelques pistes de réflexion quant au glissement axiologique qui s’opère dans à la suite du manquement éthique de certains protagonistes policiers ou agents de renseignements. Entre la destitution du caractère héroïque des uns, la non-fiabilité narrative des autres et l’impossibilité systémique et organique — c’est-à-dire inscrite dans la nature même du texte et du réel décrit — d’une élucidation, le roman noir de l’extrême contemporain présente une vision monstrueuse voire, nihiliste de l’enquête policière et de la justice.

Mots-clés : noir, polar, enquête, incrimination, irrésolution.

EN The article analyses how French contemporary detective novel radicalizes the principle of irresolution that is specific to noir sub-genre. It depicts the struggles for the power between characters and narrators in charge of public authority to impose an “established disorder” in virtue of an “unreason of State”. It also suggests some lines of thought around the axiological shift that operates as a consequence of ethical lacks in some fictional officers or secret agents. Between the heroic destitution of the former, the lack of liability of the latter, and the systemic impossibility for a clarification – as inscribed in the nature of the text itself and of the reality that is depicted –, the extremely contemporary noir novel presents a monstruous, nihilist conception of justice and police investigation.

Keywords : noir, detective, investigation, incrimination, irresolution.